L’esprit de la forêt

A chacun de nos arrêts, le Japon s’offre à nous telle une œuvre d’art, à la fois simple et complexe. Simple dans ce qu’elle propose en première intention. Complexe pour qui veut prendre le temps de s’arrêter et de contempler. Le Japon, c’est un tout, dont chaque particule semble chargée d’un je ne sais quoi, à la fois mystérieux et enivrant.

Dans le parc naturel de ‘Shiratani Unsuikyo’, ayant entre autres inspiré les décors de ‘Princesse Mononoké’, on ressent de manière indicible mais très forte la domination de la nature. La forêt semble habitée d’un esprit et d’une forme de présence impalpables mais d’une puissance que l’on sait supérieure.

Dès les premiers pas, le tableau végétal est complexe. Il est composé de racines de cèdres difformes et tortueuses qui semblent danser avec les éléments ; d’eau, source nourricière et bienfaitrice, prenant des formes multiples : rivière, gouttelettes prisonnières de la mousse, filet glissant le long des roches.

Ici, une araignée au tout petit corps noir et blanc avec de très longues pattes, aussi fines qu’un fil de nylon, escalade avec grâce ce parterre noueux… Là, un groupe de daims en train de paître se laisse observer sans sourciller… Mère nature veille sur eux.

Et, partout, vous encerclant, des arbres millénaires aux formes fantasmagoriques vous regardent du haut de leurs cimes invisibles. Dans cette forêt, de minces faisceaux lumineux parviennent à se frayer un chemin au travers d’une végétation luxuriante, comme pour vous montrer la voie à suivre.

Une fois le sommet atteint, les montagnes s’évaporent dans l’horizon pour se confondre avec le ciel. Nos yeux se délectent de ces camaïeux de verts infinis, dont seuls les torrents rompent l’harmonie.

Lorsque soudain, le ciel s’assombrit. Les ombres disparaissent. Un vent léger se lève, vous murmurant à l’oreille qu’il est temps pour vous de repartir. Les nuages embrassent la montagne dans un cortège silencieux. Les premières gouttes de pluie, fines, qui parviennent à pénétrer le toit végétal viennent délicatement se poser sur les mousses soyeuses. Les feuilles, poussées par le vent, virevoltent en décrivant une danse langoureuse.

Et puis, le temps de la contemplation prend fin. Les larmes déversées par le ciel deviennent maintenant plus menaçantes et pénètrent dans la forêt sans difficulté dans un flot continu et intense. L’eau dévale la montagne, glissant sur les racines et pierres devenues glissantes. La calme rivière qui jouxte le sentier se mue progressivement en un puissant torrent.

C’est cela aussi l’esprit de la forêt qui, après vous avoir enivré de ses charmes multiples, se resserre sur vous tel un étau en un rien de temps, comme pour affirmer une dernière fois sa domination avant de laisser repartir le visiteur qui a cru, sans doute par manque d’humilité, l’espace d’un instant, pouvoir en percer les secrets…